Pepin Vaillant : le musicien enfin retrouvé à l’Uniac de Santiago de Cuba, le lieu le plus officiel de la ville. Cuba, c’est ça (c’est ce que l’on dit chaque fois qu’un truc inattendu se produit chez Castro). Pepin avait quelque chose de distingué et fragile. On nous l’avait indiqué, assis seul sous le préau et, quand nous nous sommes approchés de lui, il avait l’air intimidé du type qui rencontre le roi du pétrole. Il nous attendait.

Les premières phrases que nous avons échangées avec Pepin Vaillant – le trompettiste le plus excentrique, le plus givré du pays – étaient en français qu’il parle avec un accent qui mélange américain et espagnol. Pepin a vite évoqué Paris, la vie nocturne à Pigalle dans ces années 40 et 50. Pepin a gardé la dégaine, les yeux vifs et ronds et, surtout, cette distinction du langage des années 50. Nous avions notre homme et, avant de le quitter, nous lui avons proposé une séance de photo improvisée dans la rue. Et là, devant le mur délabré d’une maison santiaguera, le vieil artiste a pris la pose en rigolant, tenant sa trompette d’une main et lançant sa longue jambe au-dessus de sa tête, comme jadis dans une posture grotesque, acrobatique et tellement insolite dans cette ruelle que les passants ne tardèrent pas à s’attrouper autour de nous.

Pepin loge dans une petite bicoque dans les bas quartiers de la ville. Il nous attendait, vêtu d’un simple maillot de bain bleu pâle plutôt défraîchi. Il était assis dans la position du lotus sur un matelas pneumatique posé au milieu de la pièce unique de sa maison. Avec cet éclairage blafard, il avait tout d’un diable nu ou d’un fakir. Il nous parla aussi de ses tournées de show man et de l’Espagne, de Séville où il vécut quelques années dans le quartier flamenco de Triana. «J’étais un gitan de plus à Séville.»

Pepin tenait son instrument assez haut de la main droite. Il était assis, les jambes écartées et, de sa main gauche, il semblait écrire les sons de son index tendu. C’est ainsi que nous avons découvert les mains de cet homme. Des mains extraordinaires aux longs doigts déliés, des mains tellement expressives, décoratives, sans doute exercées à toutes les poses dans son jeu de musicien-acteur. D’une main, la trompette-poupée, la trompette-fiancée, la trompette-chantante, de l’autre, les commentaires, les ordres, les ornements dessinés à cinq doigts dans l’air.